Au Burkina Faso, les défis liés aux droits et à la santé sexuelle et reproductive (DSSR) sont multiples et se heurtent à des réalités sociales, économiques et sécuritaires particulièrement complexes. Dans ce contexte, les personnes en situation de handicap, et plus spécifiquement les femmes et les enfants, vivent une invisibilisation préoccupante qui les prive de droits fondamentaux.  En 2021, selon un article publié par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), près de 2 millions de Burkinabè vivaient avec un handicap, soit environ 13,9% de la population. Pourtant, leur accès aux services de santé, à l’éducation, aux infrastructures, mais aussi aux droits sexuels et reproductifs, reste limité. Ce constat traduit un écart criant entre les dispositions légales et internationales ratifiées par le pays et la réalité vécue au quotidien par ces populations.

Le cadre juridique national reconnaît pourtant clairement leurs droits. La Constitution burkinabè consacre les principes d’égalité et de non-discrimination, en garantissant à tous les citoyens l’égalité de traitement et d’accès aux droits. Dans cette dynamique, la loi n°012-2010/AN du 1er avril 2010, portant protection et promotion des droits des personnes handicapées, établit un socle légal pour leur prise en charge. Son champ d’application couvre de nombreux domaines : santé, éducation, transport, infrastructures, formation professionnelle, emploi, sports, loisirs, arts, communication, action sociale, et participation à la vie publique et politique. À cela s’ajoute l’adhésion du Burkina Faso au Protocole de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples relatif aux droits des personnes handicapées dans l’action humanitaire, témoignant d’une volonté d’inscrire le pays dans une dynamique continentale de protection. Enfin, la mise en place de la SN-3PH 2021-2025, élaborée en concertation avec des départements ministériels, des organisations de personnes handicapées et des ONG, marque une étape clé dans la définition d’une politique nationale plus inclusive.

Cependant, malgré ces avancées normatives, la réalité reste alarmante. L’invisibilisation des personnes handicapées dans le domaine des DSSR se traduit par un accès limité à l’information, aux services et aux soins adaptés. Les femmes et les filles en situation de handicap sont les plus exposées à cette exclusion, car elles subissent une double discrimination : liées à leur genre et à leur handicap. Dans un contexte marqué par des normes sociales patriarcales, leur sexualité est souvent niée, considérée comme inexistante ou, au contraire, exploitée, les exposant à des violences sexuelles, à des mariages forcés et à des grossesses non désirées. Pourtant, elles sont rarement prises en compte dans les politiques publiques, renforçant ainsi leur marginalisation.

La situation des personnes handicapées déplacées internes illustre encore mieux cette invisibilisation. Le Burkina Faso vit depuis plusieurs années une crise sécuritaire majeure ayant conduit au déplacement de plus de 1,4 million de personnes en 2021. Selon le Conseil national de secours d’urgence et de réhabilitation (CONASUR), on comptait cette année-là plus de 17 000 personnes handicapées parmi ces déplacés internes, dont plus de 7 000 hommes et plus de 9 000 femmes. En mars 2023, ce chiffre a été révisé à la baisse, estimant leur nombre à un peu plus de 10 000. Ces statistiques, en baisse apparente, ne reflètent pas une amélioration de leur situation mais traduisent plutôt des difficultés de recensement et la fragilité des données disponibles. Ce manque d’informations fiables accentue encore leur invisibilisation et rend difficile l’élaboration de politiques publiques adaptées. Or, dans les camps de déplacés internes, l’accès aux soins de santé, y compris aux services de santé sexuelle et reproductive, est déjà un défi majeur pour l’ensemble des populations ; pour les personnes handicapées, et en particulier les femmes, il devient quasi impossible. Elles sont souvent les dernières à bénéficier d’un suivi médical, et leurs besoins spécifiques ne sont pas pris en compte.

Au niveau des DSSR, les données de l’UNFPA Burkina Faso montrent que moins de 30 % des femmes handicapées ont accès à une information complète et adéquate sur la contraception moderne. L’accessibilité physique des structures de santé reste limitée, et les infrastructures sont rarement adaptées aux personnes à mobilité réduite. De plus, les supports d’information ne sont presque jamais disponibles en braille, en langue des signes ou sous des formats accessibles aux personnes ayant une déficience intellectuelle. Cette absence d’accessibilité se traduit par un sentiment d’exclusion et un manque d’autonomie qui renforcent la vulnérabilité de ces populations.

Les enfants en situation de handicap connaissent également une marginalisation prononcée. Seuls 5 % d’entre eux sont scolarisés, et les filles sont encore moins nombreuses à fréquenter l’école. Ce faible taux de scolarisation limite leur accès à l’éducation sexuelle complète, un outil pourtant essentiel pour leur permettre de se protéger contre les abus et d’exercer leurs droits reproductifs en toute autonomie. Sans éducation et sans information adaptée, ces enfants et jeunes restent enfermés dans un cycle de dépendance et de vulnérabilité.

Pourtant, des efforts sont menés par certaines organisations de la société civile et associations spécialisées. La Fédération burkinabè des associations de personnes handicapées (FEBAH), l’Union nationale des associations burkinabè pour la promotion des aveugles et malvoyants (UN-ABPAM) , l’Association des Femmes Handicapées Battantes du Burkina Faso (AFHBB), par exemple, plaident pour une meilleure prise en compte des besoins spécifiques des personnes handicapées dans les politiques publiques. Elles sensibilisent également les communautés sur la nécessité de déconstruire les stéréotypes autour de la sexualité et de la parentalité des personnes vivant avec un handicap. Ces initiatives restent toutefois isolées et insuffisamment soutenues financièrement et institutionnellement.

Il apparaît donc urgent de renforcer l’approche inclusive dans les politiques liées aux DSSR. Cela implique d’intégrer de manière systématique la question du handicap dans les plans de développement sanitaire et social. La mise en œuvre effective de la loi de 2010 et de la SN-3PH 2021-2025 doit être une priorité, avec des budgets dédiés et des mécanismes de suivi et d’évaluation clairs. De plus, la formation du personnel soignant à l’accueil inclusif et respectueux des personnes handicapées est une nécessité absolue pour réduire les discriminations dans les services de santé.

Enfin, la lutte contre l’invisibilisation passe par la production et la diffusion de données fiables, désagrégées par sexe, âge et type de handicap. Sans chiffres précis, les besoins réels des personnes handicapées resteront méconnus et mal pris en compte. Mais elle passe aussi par la valorisation de la voix des personnes handicapées elles-mêmes. Leur participation active à la conception, à la mise en œuvre et à l’évaluation des politiques publiques est une condition essentielle pour garantir des solutions adaptées et durables.

En définitive, garantir les droits sexuels et reproductifs des personnes en situation de handicap au Burkina Faso, c’est respecter la promesse d’égalité et de dignité inscrite dans la Constitution, dans la loi de 2010 et dans les engagements internationaux du pays. C’est aussi reconnaître que la lutte pour les DSSR ne peut être complète tant qu’une partie de la population reste invisibilisée et exclue. Briser ce silence, déconstruire les préjugés et mettre en œuvre des actions inclusives et concrètes constituent une urgence pour bâtir une société plus juste et égalitaire. Car invisibiliser les personnes handicapées, c’est fragiliser non seulement leur avenir, mais aussi celui de toute la nation.

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